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La bouquinerie aux deux colombes
14 juillet 2016

Le grand marin

9782823608632

Catherine Poulain

Éditions de l'Olivier

2016

372 pages

 

« Une femme rêvait de partir.
De prendre le large.
Après un long voyage, elle arrive à Kodiak (Alaska). Tout de suite, elle sait : à bord d’un de ces bateaux qui s’en vont pêcher la morue noire, le crabe et le flétan, il y a une place pour elle. Dormir à même le sol, supporter l’humidité permanente et le sel qui ronge la peau, la fatigue, la peur, les blessures…
C’est la découverte d’une existence âpre et rude, un apprentissage effrayant qui se doit de passer par le sang. Et puis, il y a les hommes. À terre, elle partage leur vie, en camarade.
Traîne dans les bars.
En attendant de rembarquer.
C’'est alors qu’elle rencontre le Grand Marin.» 4e de couverture

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J'ai tenu ce livre dans mes mains une bonne dizaine de fois avant de me rendre compte que sur les étalages des nouveautés de toutes les librairies ou bibliothèques que je faisais, immanquablement je revenais à lui. « Il doit bien y avoir quelque chose », je me suis dit. Alors je l'ai réservé à la BANQ.

Une jeune femme qui ne connaît rien à la pêche débarque en Alaska afin de partager le quotidien de ces hommes rudes qui font sûrement l'un des métiers les plus durs et le plus mal payé au monde. Il s'agit de Lili, une femme menue qui rêve d'atteindre le bout du monde et de s'y balancer les pieds, qui est incapable de vivre dans une maison car elle s'y sent enfermé, une Française qui, pour fuir l'Immigration serait prête à se jeter dans la mer houleuse sans hésitation. Se trouver un emploi sur un bateau est déjà bien difficile pour une femme mais d'être capable de faire la job c'est encore pire. Parmi les marins qui gueulent, qui la houspillent pour un tout et un rien, elle va tenter de faire sa place en travaillant comme une forcenée. Il y a quelque chose chez elle qui attire le respect, dès qu'on la voit, on sait qu'il y a quelque chose chez elle de différent, qu'elle fera l'affaire sur le bateau quitte à en perdre des membres. Lili c'est une tough, elle réussit même à nous faire peur quelque fois avec son désir d'être accepté et de travailler aussi fort que les hommes.

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Vous l'aurez compris, ce livre ne peut pas laisser indifférent. Bien sûr, il y a l'Alaska the last frontier qui doit en faire rêver plus d'un avec ses splendides bateaux de pêches colorés qui mouillent au port, ses bars miteux qui accueillent une faune hétéroclite et cette immense étendue d'eau qui est la raison de vivre de tous, plus importante que le mouvement du soleil, la mer est la maîtresse des gens de Kodiak. Au-delà de ça, il y a aussi la magnifique plume de Catherine Poulain qui en est pourtant à son premier livre. Je me permet de vous citer les premières phrases du livre qui donne immédiatement le ton : « Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska. Mais y arriver à quoi bon. » Une auteure incroyable qui a su avec brio (et parfois en me terrorisant) nous faire découvrir la réalité de ces hommes qu'elle a partagé pendant dix ans. Elle a réussi aussi à créer un personnage fort qui bouscule nos réalités. En mon fort intérieur, j'espère que dans Lili il y a beaucoup de Catherine car il s'agit d'une femme exceptionnelle qui n'a pas renié sa féminité pour faire le terrible métier qu'elle aime.

Pour ce qui est de l'histoire d'amour, elle reste plutôt secondaire, elle est selon moi un prétexte à un titre splendide Le grand marin. Jude (le Grand Marin) est pour moi l'image même du pêcheur, tout au long du texte nous en rencontrons des dizaines, incapable de s'éloigner de la bouteille et/ou de la drogue, la mer est le seul endroit où ils sont capables de rester à jeun. Le travail difficile a amaigri leurs corps, les a rendu tough à la misère comme on dit chez nous et pourtant ils continuent de rêver à une vie meilleure, disparaissant parfois pendant quelques semaines mais revenant bien souvent à l'ouverture de la pêche. Il y a de la poésie partout à Kodiak lorsque c'est Catherine Poulain qui écrit.   

Les seuls bémols que je donnerais à ma lecture c'est le foisonnement de personnages. Incapable de me rappeler des noms de tous ni même comment Lili les a rencontré, j'ai fini par abandonner l'idée de m'en souvenir. Les hommes semblent tourner autour de Lili comme des papillons autour d'une lumière. Autre chose, qui n'est pas vraiment un bémol mais que je me devais de vous partager, la dure réalité de la vie de pêcheur n'a pas su me convaincre du tout. Bon ce n'était pas le but mais au final, je me sentais loin de Lili et loin de l'auteure qui a fait ce métier pendant dix ans, je ne pouvais pas comprendre. Lorsque Lili parle du froid, de la faim, du sommeil, de la douleur de son corps et de la mer agitée cela faisait ressurgir en moi des images plutôt horrifiantes et je m'accrochais à mon oreiller propre et à mon grand lit. Pour elle, il y a quelque chose de magnifique dans cette vie, pour moi ce n'était que désespoir pour un salaire inexistant. Jamais je ne pourrais partager la vie de Lili même si parfois je rêve de liberté et même au travers des pages, les mots venaient parfois me glacer le corps.

Extraits :

- « Je m'endors. Je pense au Rebel, aux hommes endormis dans son ventre, au roulement des moteurs comme un coeur furieux, et eux qui les habitent, ce ventre et ce coeur, dans le balancement sans fin des flots. À celui qui veille. J'ai froid seule sur terre. On m'a arrachée à eux et me voilà soudain loin de ce temps irréel où nous pêchions ensemble. Je pense au chant des vagues, aux longs frissons de la houle, océan et ciel basculés. Ici tout est fixe.» p. 82-83

- «J'suis pas une fille qui court après les hommes, c'est ça que je veux dire, les hommes je m'en fous, mais il faut me laisser libre autrement je m'en vais ... De toute façon je m'en vais toujours. Je peux pas m'en empêcher. Ça me rend folle quand on m'oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Être une petite femelle c'est pas pour moi. Je veux qu'on me laisse courir. »p.244

- « - Pfff ! Vous êtes des milliers comme ça, qui arrivez depuis plus d'un siècle. Les premiers c'étaient des féroces. Vous c'est pas pareil. Vous êtes venus chercher quelque chose qui est impossible à trouver. Une sécurité ? Enfin non même pas puisque c'est la mort que vous avez l'air de chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous chercher ... une certitude peut-être ... quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos douleurs, votre passé - qui sauverait tout, vous en premier. » p. 305

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